Ma lecture du week-end : Nem de Rocinha : ascension et chute du caïd de la favela emblématique de Rio de Janeiro.
En voyant le résumé de couverture, je n’étais pas très emballée – je le trouvais racoleur à souhait. J’avais peur que ce livre ne nous présente une version hollywoodienne du narcotrafic – avec des méchants trafiquants, sanguinaires, intrinsèquement mauvais. Mais j’ai été plutôt agréablement surprise.
Nem da Rocinha ne fait pas le seul portrait du parrain emblématique de la Rocinha, le dono do morro, du début des années 2010. Dans une première partie, le livre fait un retour en arrière sur la Rocinha : années 1960 et explosion démographique, années 70 et marijuana, années 80 et arrivée de la cocaïne… « En 1984, il neige à Rio de Janeiro » tellement la poudre blanche a envahi les rues… Puis viennent les années 90 et l’explosion des homicides et l’arrivée des milices. On retrouve les parrains historiques, notamment Denis et Lulu, parrains bien aimés. Surtout, on comprend la relation qui unit ces donos do morros aux habitants – et leur rôle social dans ces communautés : distribution de nourriture, de médicaments, mais ils rendent aussi la justice. Certains parrains condamnent même la violence (« c’est mauvais pour les affaires »), le viol ; rendent la justice dans des conflits domestiques… En bref, ils substituent l’Etat, qui a complètement délaissé ces territoires.
Nous arrivons aux début des années 2000, le grand changement. C’est là qu’Antonio Francisco Bonfim Lopes, qui n’est pas encore connu sous le nom de Nem, apparaît. Il travaille en règle dans une entreprise de livraison de journaux, est compétent, gravit les échelons. Mais sa fille est malade – on lui diagnostique une maladie rare. Etranglé par les factures médicales, Nem se tourne vers le parrain de l’époque pour l’aider financièrement. Il met le pied dans l’engrenage – et n’en sortira plus.
L’auteur britannique Misha Glenny, spécialiste du crime organisé (avec des enquêtes dans les Balkans ou en Russie) a rencontré à plusieurs reprises Nem, aujourd’hui détenu dans une prison de sécurité maximale. Il s’est immergé dans les favelas, a appris le portugais, a rencontré des habitants, des policiers, des politiques. Il dresse un portrait assez fin de Nem : ce n’était pas un enfant de chœur, certes. Mais il a cherché à gérer le commerce de la drogue comme une entreprise, en essayant de limiter la violence autant que possible. Mais dans notre système capitaliste, « la périphérie produit argent, mort et sang, qu’elle injecte au cœur de la ville. » (R. Saviano)
Ce que je retire de cette lecture ? Ce n’est qu’un témoignage de plus de l’absurdité de la guerre aux drogues mondiale. Une guerre qui pénalise les plus pauvres, et majoritairement les Noirs. La punition s’abat essentiellement sur les revendeurs – alors que les consommateurs, majoritairement de classe moyenne et supérieure, n’en subissent que très peu les effets.
Mon avis, c’est que la guerre aux drogues est une guerre aux pauvres. Ce livre en est une preuve supplémentaire.
« Nem da Rocinha est l’histoire d’Antonio, mais c’est aussi un livre sur les hommes et, dans le même temps, une enquête sur le Brésil« , dit Roberto Saviano, spécialiste des mafias et auteur de Gomorra, dans la préface. Glenny « plonge au coeur de la complexité de nos vies, dans les dynamiques multiples et entremêlées qui naissent des difficultés du systèmes capitaliste » ajoute-t-il, et de conclure :
Un livre qui montre qu’il y a de l’humanité chez les individus les plus barbares et de la corruption chez les plus intègres.
Pour qui veut comprendre un peu mieux les rouages du narcotrafic dans l’Etat brésilien, un livre intéressant qui, j’insiste bien, ne créé aucune sympathie pour les narcotrafiquants. Mais la vérité est toujours bonne à dire.
Voir également notre article publié récemment : Qui sont les narcotrafiquants brésiliens ? avec une interview de Misha Glenny.