La collection Urbana – les romans brésiliens sur l’urbanité – des éditions Anacaona s’enrichit cet hiver de deux titres.
Voici d’abord Kéro, un reportage maudit, qui vient d’arriver.
Le livre commence par une note :
On n’est pas nés sous la même étoile
Pourquoi fortune et infortune ?
Pourqui suis-je né les poches vides,
pourquoi les siennes sont-elles pleines de thunes ?
[ IAM – L’école du micro d’argent ]
En effet, ce roman m’a vraiment fait penser aux meilleures chansons de hip hop. On y retrouve le même langage de la rue, la même haine, le même désespoir, le même sentiment d’injustice aussi… Et je trouve que littérature et hip hop font parfois bon ménage 😀
Le thème ? L’histoire d’un fils de pute (oui, les putes font des enfants !), qui devient très jeune enfant des rues. Certains d’entre vous connaissent peut-être le classique Capitaine des sables, de Jorge Amado ? Ce beau roman, qui retrace « l’existence mouvementée, dramatique et poétique à la fois, d’une bande de gamins des rues qui unissent la ruse et l’audace des hommes à l’innocence et au charme des enfants ».
Eh bien Kéro, c’est tout le contraire. Ici, pas d’idéalisation de la misère : oui, la misère est laide et la misère ne se serre pas les coudes. Ici, c’est chacun pour soi – ou, pour parler comme Kéro, « c’est chacun pour sa gueule, et ça c’est pas nouveau ».
Kéro est sorti en 1976, mais traite de thèmes encore brûlants dans la société brésilienne (et française) : prostitution, proxénétisme, viol, marginalité sociale, corruption, milieu carcéral, impossibilité d’ascension sociale et manque de perspectives, délinquance, débat sur l’abaissement de la majorité pénale…
Adapté au cinéma et au théâtre, traduit en plusieurs langues, c’est aujourd’hui un classique de la littérature marginale brésilienne.
Qui est l’auteur, Plinio Marcos ?
Issu d’une famille de banquiers, il arrête l’école à 10 ans et fugue à 15 ans. Il devient clown dans un cirque, cartomancien, plombier et vendeur ambulant… Il sera aussi chroniqueur, journaliste, dramaturge et romancier. C’est grâce à son expérience de vie libre et assumée d’adolescent dans la ville de Santos qu’il a pu se mouvoir parmi les bas-fonds, et rencontrer les personnages qui habitent son œuvre : marins, prostituées, « malandros» (voyous), anti-héros peuplant les marges – cet univers dans lequel s’enracine toute son œuvre.
Enfin, pour la petite histoire… J’ai découvert Plinio Marcos sur recommandation de divers auteurs de la collection Urbana – et notamment Marcelino Freire, Ferréz, https://www.anacaona.fr/rodrigo-ciriaco/, qui sont de fervents admirateurs de Plinio Marcos. La génération actuelle d’auteurs de la « littérature marginale brésilienne » y voit un père littéraire, un visionnaire qui a permis à une partie des plumes brésiliennes actuelles d’être ce qu’elles sont aujourd’hui. Plinio Marcos avait donc toute sa place dans la collection Urbana des éditions Anacaona, dont le leitmotiv est « écrire est une arme ».
Bref, Kéro, c’était mon coup de coeur de l’hiver dernier, lu d’une traite un dimanche après-midi… J’en suis sortie complètement secouée, désespérée, touchée.. J’espère que Kéro vous touchera autant que moi. Ne vous fiez pas à sa taille – c’est un petit livre de 128 pages mais l’écriture de ce brûlot est extrêmement dense, elle vous oppresse tout du long…
On me demande parfois : mais tes romans sont si durs… à quoi ça sert de s’en prendre plein la figure ? Je réponds : à comprendre une partie de la population qu’on ne voit jamais, ou sinon aux infos, dans les « faits divers ». Et ça sert aussi à relativiser… C’est la galère, la déprime ? Regarde autour de vous, regarde Kéro. Au bout du compte, ça ne va pas si mal…
Bonne lecture ! 🙂 – et vous pouvez lire le premier chapitre ici.
Voir la page produit Kéro ; voir la page sur Plinio Marcos.