Il y quelques jours, la Cour suprême brésilienne a validé officiellement une loi qui réserve désormais 20% des places aux Noirs et aux métis dans la fonction publique. Adopté en 2014, ce texte n’avait jamais été appliqué en raison de nombreuses controverses, mais aujourd’hui il est enfin validé.
A l’occasion de l’application de cette loi, souvenons-nous de l’article publié dans la partie documentaire de Je suis toujours favela sur les Noirs au Brésil. Presque trois ans se sont écoulés depuis cet article, mais la situation n’a pas autant changée, surtout parce que le racisme est un problème très présent dans la société brésilienne depuis des siècles. Certes, les hommes et femmes Noirs au Brésil sont de plus en plus actifs dans la lutte pour leurs droits et tiennent tête à tous ce qui sont imprégnés de racisme et préjugés, pourtant la situation des hommes et femmes Noirs et Afro-descendants ne change pas aussi vite que l’on aurait souhaité.
Voici quelques extraits de l’entretien paru dans Je suis toujours favela, en 2014, entre Paula Anacaona et Marcelo Paixao, l’un des plus grands spécialistes brésiliens de la question raciale au Brésil, professeur à l’Institut d’économie de l’Université fédérale de Rio de Janeiro et coordinateur du Laboratoire d’analyses économiques, historiques, sociales et statistiques des relations raciales (LASER).
Sommaire
I) Rappel historique
II) Comparaison Brésil / Etats-Unis ou Europe
[ps2id id=’histoire’ target= »/]Paula Anacaona : Pouvez-vous faire un rappel historique sur la condition des Noirs au Brésil ?
Marcelo Paixão : D’abord, puisque nous allons parler de racisme, je me permets de clarifier tout de suite : en termes scientifiques, la race n’existe pas. Nous avons tous une couleur de peau et des traits physiques différents mais il n’y a qu’une seule espèce humaine. Les Norvégiens ont les cheveux clairs et les yeux bleus, les Nigériens ont la peau et les yeux foncés et seule l’idéologie raciste donne un sens à ces traits physiques. C’est une construction sociale, avec des niveaux de verbalisation ou de violence plus ou moins élevés, liée au pouvoir et aux relations asymétriques de pouvoir.
Voilà, la clarification est faite ! Maintenant, sur le Brésil, un petit rappel historique…
En France, Rousseau publie en 1762 Le Contrat social, où il affirme que l’esclavage est illégitime et sans fondement et que « la force ne fait pas droit ». Au Brésil, à cette époque, on en est loin… Pourquoi ? Parce que le système esclavagiste était fondamental pour l’économie brésilienne.
Politiquement, le Brésil est un pays de transitions lentes et progressives. Entre les premières lois pour mettre fin au travail esclave et l’abolition à proprement parler, il s’est passé plus de 50 ans. Le Brésil a été le dernier pays du monde occidental à abolir l’esclavage, en 1888.
J’aime bien rappeler que Karl Marx était mort depuis deux ans quand l’esclavage a été aboli au Brésil. Karl Marx, l’auteur qui a fait l’une des analyses les plus pointues de l’économie politique classique et du capitalisme, était mort depuis deux ans et le Brésil n’était pas encore entré dans le capitalisme ! Le Brésil est clairement un pays de transitions lentes et progressives. Et les questions raciales n’échappent pas à la règle.
C’est dans les années 1930, au moment où l’Europe était dominée par le fascisme et les idéologies raciales, que l’Etat et la société brésilienne ont reconnu leur origine africaine. C’était une marque de progressisme très fort, alors que d’autres pays d’Amérique du Sud comme le Venezuela ou la Colombie continuaient à nier leur origine africaine, affirmant plutôt leur descendance indigène ou européenne.
Cependant, l’idéologie du métissage, si brésilienne et fondamentale à la création de notre projet de société, est ambigüe : si d’un côté elle reconnaît positivement l’origine africaine et indigène du peuple brésilien, de l’autre, elle véhicule un discours qui finit par rendre invisibles les demandes sociales d’une certaine partie de la population. Pourquoi ? Parce que cette idéologie reconnaît que, dans le passé, l’Africain a contribué à la construction de la société et de la culture brésiliennes mais elle évite de considérer le présent, et nie, de cette façon, le problème racial. Elle nie que les personnes à la peau plus foncée sont discriminées à l’école, à l’université et sur le marché du travail, qu’elles sont la principale cible de la violence et de l’expropriation du territoire.
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[ps2id id=’comparaison’ target= »/]PA : Comment comparez-vous la situation du Brésil avec celle des États-Unis et de l’Europe ?
MP : Les situation étaient et sont très différentes. Aux États-Unis, la discrimination des Noirs était affirmée clairement et simplement. C’est comme si le régime des États-Unis était une barre de fer très dure et que celui du Brésil une basse en aluminium très souple. Face à des éléments externes, la barre de fer reste droite… ou se casse. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis dans les années 1960. Au contraire, la barre d’aluminium peut se plier dans tous les sens mais, comme elle est très souple, elle revient à sa position initiale. Au Brésil, le discours a toujours été très malléable, permettant ainsi à la barre en aluminium de continuer à exister. Au Brésil, à la différence de l’Europe, les Noirs sont rarement agressés verbalement. Socialement, c’est une attitude extrêmement mal considérée, répréhensible. Exprimer des propos racistes dans un lieu public, un stade de foot par exemple, est très mal vu et donc très rare.
Le racisme au Brésil est donc très différent du racisme que vous connaissez en Europe ou aux États-Unis… Lisez en PDF l’intégralité de cet interview entre Paula Anacaona et Marcelo Paixao : Les Noirs au Brésil, en 2014
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Ne manquez pas notre dossier spécial sur les Afros-Brésiliens.
Lisez ici un article sur la loi des quotas dans les fonctions publiques au Brésil.
En 2018 nous publierons le troisième livre de notre série sur les favelas brésiliennes. L’occasion de faire un bilan dans la partie documentaire sur la situation des femmes et hommes Noirs au Brésil au cours de ces dernières années, avec notamment les politiques de discrimination positive dans les différentes sphères de la société.