Le mythe de l’engagement citoyen dans les favelas brésiliennes : les mécanismes contradictoires de la quête d’autonomie
Florence POZNANSKI
La démocratie citoyenne subit dans les pays occidentaux une érosion qui tend à réduire le nombre et la diversité des citoyens impliqués à la définition des valeurs de leur collectivité. Au contraire, les jeunes démocraties latino-américaines, surtout le Brésil, sont généralement vues comme des exceptions et les recherches valorisent souvent l’intensité de la participation brésilienne, notamment dans les quartiers défavorisés.
Dès la fin des années 70, avec la détente du régime militaire, d’importants mouvements sociaux commencent à exiger la sortie de la dictature et davantage de justice sociale, plaçant la citoyenneté au centre d’un nouveau modèle démocratique. C’est ainsi que surgissent, aux côtés d’intellectuels, de syndicalistes et des « prêtres rouges » de l’église catholique, ces nouveaux représentants des quartiers périphériques. S’organisant au niveau national et militant pour la reconnaissance des droits à l’occupation du sol, à la citoyenneté, ils ont fortement contribué à mettre en place l’agenda politique participatif du pays à partir des années 90. Sur le plan symbolique, ils ont aussi permis de briser les préjugés marginalisants qui soutenaient que les habitants des favelas (les favelados) n’avaient aucune conscience politique.
Ce nouveau phénomène social a donné lieu à de nombreux travaux sur la citoyenneté des favelados, leurs capacités revendicatrices, mobilisatrices, leur engagement politique devenant capable de peser au niveau national sur l’élaboration des politiques publiques. Cet engouement à la révélation d’une nouvelle forme de citoyenneté, fait toutefois oublier que ces mouvements sociaux populaires ne sont le fait que d’une proportion infime de favelados, une sorte d’élite politique, et ne traduisent en rien la perspective d’un engagement citoyen généralisé des exclus.
Cet article analyse la logique de construction de la conscience citoyenne au sein de la favela, ou plutôt, par la négative, les mécanismes qui en limitent l’émergence. Il s’agit de comparer les résultats des premières enquêtes sociologiques réalisées dans les favelas de Rio entre les années 50 à 70 (époque pré-mouvements sociaux, contexte autoritaire de forte marginalité sociale), avec l’analyse du contexte contemporain (époque post-mouvements sociaux, post-démocratisation, contexte de participation et de consolidation des droits sociaux). Malgré l’indéniable développement qu’ont vécu les favelas ces trente dernières années, certains phénomènes sociaux tendent à perdurer.
Retrouvez la suite de l’article dans Je suis toujours favela.