Nos pas viennent de loin – le témoignage d’une féministe de 95 ans

“Nos pas viennent de loin”… Une phrase qui résonne souvent lors des manifestations féministes et antiracistes au Brésil. Une façon d’honorer ceux (et celles, surtout) qui nous ont précédés et qui ont lutté avant nous. Voici la traduction d’un article paru sur le site de Geledes, disponible en VO ici.

Le visage de Dona Maria Soares, surnommée Dona Santinha, est devenu un symbole de résistance pendant les manifestations de dénonciation de l’assassinat de Marielle Franco en 2018. Du haut de ses alors 93 ans, juché sur un camion, elle criait : “Je sais qui a tué Marielle. C’est le système qui a tué Marielle, le système qui a armé la main du tireur pour taire une voix qui défendait les minorités”.

Maria Soares est désormais célébrée et photographiée lors des manifestations. Cette reconnaissance de la rue a également pris un caractère officiel – elle a été décorée de plusieurs titres et médailles remises par la ville de Rio de Janeiro.

Maria est de toutes les manifestations, autant que son état physique le permet – manifestations féministes, antiracistes, LGBT, contre les privatisations, les expulsions… Maria pense avant tout au collectif, et sort de sa propre bulle pour embrasser toutes les causes. Mais le point de départ de sa trajectoire militante fut une tragédie personnelle : la mort de son frère.

Affilié au parti communiste, traqué, arrêté de nombreuses fois pendant la dictature militaire, le frère de Maria est mort en 1984 – peu de temps avant le rétablissement de la démocratie au Brésil.

Quand il est mort, je lui ai promis de continuer la lutte. J’ai été voir le parti communiste, mais je l’ai trouvé très rigide, et moi j’aime bien être libre. Je me suis finalement affiliée au PDT (Parti démocratique travailliste)” raconte la militante.

Née le 19 avril 1924 dans le Minas Gerais, Maria Soares n’a jamais entendu parler ni de féminisme – d’ailleurs, les femmes n’auraient le droit de vote qu’en 1932, alors qu’elle avait 8 ans – ni de racisme pendant son enfance. Pourtant, les inégalités la dérangent très tôt. “Laisse donc, Dieu sait ce qu’il fait” répondait sa mère face à ses questions… Maria s’éloignera plus tard de la religion : “Je ne suis plus d’accord avec ce Dieu auquel j’ai cru pendant longtemps“. “Aujourd’hui, je me sens dans l’obligation de me racheter et d’aider les autres, comme la communauté LGBT. Lorsque j’étais religieuse, j’étais contre l’homosexualité. Aujourd’hui, je suis main dans la main avec cette communauté“.

Dona Maria Soares, ou Santinha... Elle est tellement belle, quelle dignité !!! ❤️

Le féminisme est un mouvement nécessaire

Dona Santinha a participé récemment aux manifestations contre les viols des femmes. Elle venait de voir les statistiques des femmes abusées à São Paulo, et sentit qu’elle devait agir. Pour elle, le mouvement féministe est une réponse nécessaire devant l’augmentation des cas de violence contre les femmes. “Ce n’est pas juste, ce qui est fait aux femmes. Pourquoi les hommes tuent-ils autant les femmes, les violent-ils autant ? La peur devant l’émancipation féminine ? La colère ? Je ne sais pas si autrefois on en entendait moins parler parce que les femmes ne portaient pas plainte, mais là, trop c’est trop“, affirme l’infirmière à la retraite.

D’où vient sa détermination ? Elle-même ne saurait le dire, mais “cela ne sert à rien de critiquer le gouvernement depuis son canapé. Il faut agir.” Et elle ajoute que l’affection qu’elle reçoit dans la rue la maintient debout.

Je continue la lutte, il faut y aller, il faut faire quelque chose… Il y a des jours où je suis fatiguée, mais je reprends courage, car je rencontre tellement de personnes qui disent qu’elles s’engagent et commencent à militer grâce à moi!

Certes, je m’expose, et cela gêne certains. Mais il faut dire les choses. Et je n’ai rien à perdre : je me fiche, à 95 ans, de prendre une balle dans la tête.

La mortalité chez les jeunes Noirs me fait très mal… Des jeunes qui avaient la vie devant eux. Moi, je suis tranquille. J’ai fait ce que je pouvais, ce que j’estime juste. J’ai fait des erreurs, j’ai bien fait certaines choses, je suis tombée, je me suis relevée...”

La situation s’est améliorée. “Autrefois, pour acheter une poupée noire, il fallait aller dans 50 magasins pour en trouver une” raconte Maria, qui ne compte plus les incidents racistes : “Je suis d’une époque où, dans une boutique, on m’a dit : “Madame, on ne sert pas les Noirs ici. Aujourd’hui, même s’ils le pensent, en tout cas il ne le disent plus. La situation a changé…

A la fin de l’entretien, le photographe Fernando Lemos, un homme blanc, lui a demandé s’il pouvait lui dire au revoir en l’embrassant. Maria a accepté, lui a posé la main sur le visage en lui disant : “Doit-on vraiment être séparés ?

Traduction de l’article paru sur le site de Geledes, disponible en VO ici.

Pour ceux qui veulent l’entendre (en portugais…)

Lire le féminisme brésilien

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